Aujourd’hui devrait être le dernier jour du périple… Je prends bien le temps de savourer mon double petit déjeuner, et souris de voir à quel point les formalités administratives au moment de quitter l’hôtel semblent bien compliquées pour celui qui s’avère être une sorte de remplaçant au pied levé. J’ai beau lui expliquer que toutes les formalités ont été faites la veille (comme ça se fait partout et tout le temps), il n’en démord pas et veut que mon séjour soit dûment enregistré. Il fait donc appel à un interprète : un client de l’hôtel, visiblement un habitué. C’est un allemand, mais il parle un peu toutes les langues. Il explique à l’hôtelier que tout est en ordre (il traduit gentiment ce que je dis) mais c’est peine perdue. J’aurai donc droit à deux enregistrements (pour le prix d’un, fort heureusement).
Je quitte la vieille ville particulièrement serein : je n’ai que 80 kilomètres à parcourir, et les grands vents ne sont annoncés que pour demain.
Au moment de sortir de la ville, je vois que la route est barrée : des travaux sont annoncés. Comme c’est le premier jour du chantier, je suis certain que le passage d’un vélo, fût-il de grande taille, ne posera pas de problème. Je m’engage donc en toute confiance sur la route barrée, mais je me fais vertement héler par une dame en gilet orange, qui a pour mission de ne laisser passer personne. J’ai beau lui expliquer que je passerai partout sans encombre et sans gêner le chantier, j’ai juste droit à la menace d’une amende de 800 euros. Le seul itinéraire alternatif me fera faire un détour de près de 15 kilomètres, mais ça lui est complètement égal.
C’est donc un peu moins serein que je quitte la ville dans la direction opposée de celle que je souhaitais. Par chance, en zoomant sur Komoot, je vois que tout un réseau de chemins me permettra de prendre un raccourci non négligeable. Je m’engage donc sur un chemin de terre qui va écourter la déviation. Après quelques hésitations, quelques retours en arrières, quelques passages difficilement franchissables et quelques jurons, je me résous à faire demi-tour et à reprendre la déviation initiale. De 15 km de détour, on en sera finalement à plus de 20, si je calcule bien. Rien de bien grave, et puis finir par un « 100 », ça aura du panache.
Je mange en vitesse dans une station-service providentielle avant de repartir à une bonne allure, car il est déjà 13 heures !
Après quelques agréables kilomètres sur des routes peu fréquentées, j’arrive devant un panneau m’annonçant que la route que je me prépare à prendre est privée (« prohibido el paso, camino particular ») et qu’il faut faire attention aux faisans (« please take care with the pheasants »). Vu que des véhicules assez nombreux empruntent cette route dans les deux sens, je m’y engage en toute confiance, d’autant plus qu’elle ne fait que deux à trois kilomètres avant de rejoindre le chemin qui me mènera directement sur la route vers Tarifa.
Et j’arrive en effet au bout de la route sans encombre. À gauche, l’entrée (avec barrière et garde-barrière) vers un complexe industriel. À droite, mon chemin. Au moment de m’y engager, le garde-barrière m’interpelle poliment, mais fermement. Il m’explique que non seulement la route est interdite, mais que TOUS les chemins environnants le sont également. Je retourne donc assez penaud au début de la route privée pour bifurquer vers le kilomètre zéro de la route vers Tarifa. Ça ne fera jamais que 5 kilomètres de plus… Pour autant que les nombreux chemins situés à gauche de mon itinéraire ne soient pas fermés, bien sûr. Le premier l’est, mais ce n’est pas grave. Tiens, le deuxième aussi. En fait ils le sont tous. Je n’ai donc plus le choix : c’est de nouveau plus de 20 kilomètres qui vont s’ajouter à mon itinéraire…
J’arrive ainsi à un carrefour en « T » assez important, où je vois pour la toute première fois la mention de Tarifa sur un panneau directionnel. À ce moment, il est 16 heures, et même un peu plus. Il ne s’agit donc plus de traîner… C’est jouable, mais il va falloir pédaler à un rythme soutenu ! Je suis plutôt en forme, et c’est le dernier jour. Je peux donc tout donner pour arriver avant le coucher du soleil.
Après une côte assez longue et intense, me voici sur une sorte de plateau assez exposé aux vents, ce qui va me compliquer la tâche. Les grands vents sont annoncés pour demain seulement, il ne doit donc s’agir que d’un petit épisode venteux passager, me dis-je.
L’épisode en question durera plus de deux heures, en gagnant en intensité à chaque kilomètre. Comme au premier jour à Nordkapp, je suis même obligé de descendre de mon vélo pour supporter les bourrasques qui menacent de me projeter au milieu de la route, très fréquentée par de nombreux conducteurs qui ne me prêtent pas la moindre attention. Je reste tant bien que mal dans la bande étroite qui longe la ligne blanche qui matérialise la voie carrossable, quand elle existe… Pour la première fois depuis le départ, j’ai peur.
Non seulement c’est très dangereux, mais il est de surcroît impossible de prendre de la vitesse. C’est au prix d’efforts énormes que j’arrive tout à coup dans une zone où il n’y a pratiquement plus de vent, et où une longue descente s’annonce… Enfin la libération ! Il est cependant assez tard, je n’ai pas pu « gazer » comme je le souhaitais. Je profite donc pleinement de cette longue descente qui va m’amener dans la banlieue de Tarifa.
Oui mais voilà : en arrivant en bas, j’arrive aussi près de la côte, où le vent reprend de plus belle ! Et à l’approche de la ville, la route est TRÈS fréquentée. J’allume donc toutes les sources de lumière dont je dispose avant de pédaler le plus vite possible en minimisant les risques d’accrochage. À quatre ou cinq kilomètres de la fin, je constate que mon convoi fait des petits à-coups bizarres. Une crevaison ? Ce serait la pire chose qui pourrait arriver car il n’y a pas la moindre possibilité de se placer en retrait de la route pour réparer. Et de plus lorsque le vélo est à l’arrêt, les lampes s’éteignent… Je donne donc des petites pichenettes aux roues du vélo, tout en roulant, pour contrôler l’état des pneus. Ouf, les deux sont gonflés à bloc ! Il me faut bizarrement quelques minutes pour comprendre que c’est le pneu de la remorque qui a crevé, évidemment… Je n’ai plus le choix : je dois terminer avec un pneu crevé, et tant pis si j’abîme la jante.
Il fait à présent nuit noire, et je me mets à crier pour me donner du courage pour les derniers kilomètres qui n’en finissent pas. J’aperçois enfin les lumières de la ville : la fin est toute proche. Un panneau de signalisation me refroidit subitement : Tarifa est annoncé à 4 kilomètres ! Je décide alors de ne pas aller jusqu’au centre-ville, et de m’arrêter dès que je verrai un panneau annonçant l’entrée de la ville.
C’est finalement le nom de la ville en lettres lumineuses géantes, au milieu d’un rond-point, qui me donneront le signal que j’attendais. Je photographie alors le nom de la ville, puis poste la photo sur mes réseaux sociaux, accompagnée du seul commentaire « mission accomplie ».